Cancer du sein: entrevue avec le Dr Avrum Bluming, hématologue-oncologue

Bluming: Dans le monde dans lequel nous vivons actuellement, la plupart des avantages du THS ont été reconnus, non seulement par des personnes comme vous et moi et d’autres praticiens, mais aussi par la Women’s Health Initiative, qui est responsable de la baisse spectaculaire du THS à laquelle nous avons assisté au cours des 20 dernières années. Parmi les avantages, citons la réduction du risque de maladie cardiovasculaire, la réduction des fractures de la hanche, l’amélioration de la cognition, l’évitement des symptômes de la ménopause et même la longévité. Bluming: Il est très important de noter, et je pense vous l’avoir envoyé, que l’un des chercheurs principaux de la Women’s Health Initiative, Rowan Chlebowski, a publié le mois dernier un article dans lequel il affirme que nous sommes passés à côté du fait que, même si nous pensions que les femmes qui suivaient un traitement hormonal substitutif combiné présentaient un risque accru de cancer du sein, nous avons omis de dire qu’elles ne présentaient pas un risque accru de décès par cancer du sein. En fait, l’œstrogène diminue le risque de cancer du sein lorsqu’il est administré seul et améliore la longévité. Et nous pouvons discuter de la question de savoir si leur idée que l’association augmente le risque de cancer du sein est toujours valable. Il y a des articles que vous avez vus, que j’ai vus, qui disent que ce n’est plus valable.

Newson: Lorsque j’étais à l’école de médecine dans les années 80, une femme sur douze avait un cancer du sein. Nous sommes maintenant en 2022, et les chiffres les plus récents sont d’environ 1 sur 7. C’est donc devenu beaucoup plus courant. Mais depuis que j’ai terminé mes études de médecine, l’utilisation du THS a diminué depuis 2002, depuis l’étude WHI. Je veux dire, vous disiez tout à l’heure que seulement 5 % des femmes aux États-Unis prennent un THS. Au Royaume-Uni, environ 14% des femmes ménopausées prennent un THS. Donc le THS ne peut pas être la cause de tous les cancers du sein, n’est-ce pas, car il est si courant. Pourtant, si peu de femmes prennent un THS.

Bluming: Et d’ailleurs, tomber enceinte après avoir été traitée pour un cancer du sein n’a pas d’effet pronostique négatif sur l’issue de ce cancer. Et d’ailleurs, le recours à la fécondation in vitro (FIV) n’a aucun effet sur le pronostic du cancer du sein.

Newson: Et c’est très important parce que les niveaux d’œstrogènes chez les femmes enceintes sont beaucoup plus élevés, n’est-ce pas, que chez les femmes qui prennent un THS ? Donc, vous savez, je pense que parfois, en médecine, nous avons cette sorte de roue de hamster où nous sommes très, très occupés et nous apprenons par cœur et nous faisons juste ce qu’on nous a appris. Et nous n’avons pas toujours le luxe de pouvoir prendre du recul et d’examiner la littérature. Mais aussi, parfois, – quand je dis nous, je veux dire beaucoup de professionnels de la santé, moi y compris, – nous sommes tellement absorbés par les risques ou l’inquiétude que nous oublions ce que les patients veulent aussi.

Newson: Oui, nous avons récemment mené une enquête auprès de certaines de nos patientes, et la grande majorité d’entre elles n’avaient jamais été impliquées dans une discussion sur la ménopause ou leur traitement. Et donc beaucoup de femmes avec qui je parle pensent que leurs symptômes sont liés à leur chimiothérapie ou au traitement qu’elles ont reçu dans le passé, comme le brouillard cérébral ou les douleurs osseuses ou autre. Certains de ces symptômes sont dus à leurs traitements bloquant les œstrogènes, comme les inhibiteurs d’aromatase, parce qu’ils éliminent chaque parcelle d’œstrogène de leur corps. Mais beaucoup de femmes, comme vous le dites, se voient simplement dire “vous ne pouvez pas prendre de THS”, point final. Et beaucoup de femmes à qui je parle ont en fait des symptômes vaginaux, c’est-à-dire qu’elles ont une sécheresse vaginale, des douleurs ou des irritations. Parfois, cela signifie qu’elles ne peuvent pas porter de sous-vêtements, qu’elles ne peuvent pas s’asseoir tant la douleur est intense ou qu’elles ont des symptômes urinaires récurrents. Pourtant, on dit à ces femmes qu’elles ne peuvent même pas avoir d’œstrogènes localisés. Les gens ont donc tellement peur. Alors que mes patientes, je ne les empêcherai jamais de faire de l’escalade, du parachutisme ou de conduire très vite si elles le veulent, donc ça ne semble pas juste, Avrum.

Bluming: Eh bien, je pense qu’il y a deux problèmes. Le premier est celui avec lequel nous avons commencé au début, qui dit que si vous voulez empêcher les gens de faire quelque chose, effrayez-les. Et les gens ont, par nature, une aversion au risque. Ce que nous savons maintenant, c’est que les femmes qui prennent des hormones, pas les survivantes du cancer du sein, mais la population générale, des femmes qui prennent des hormones, ont un risque réduit de 50 % de maladies cardiaques et de 50 % de fracture de la hanche, un risque probablement réduit (bien qu’il n’y ait pas eu d’études randomisées) de déclin cognitif, et elles vivent en moyenne 3,3 ans de plus. Et pourtant, elles ne veulent pas s’approcher des hormones à cause de l’environnement dont vous parlez. Si nous réfléchissons une minute, quelle serait la situation si nous parlions d’hommes et non de femmes ? Bien sûr, vous riez, parce que c’est tellement absurde que nous semblons presque comploter contre le bien-être des femmes. Et c’est tellement injuste.

Newson: Non. Et je pense que les femmes pensent aussi au cancer du sein. J’ai un très bon ami oncologue, qui travaille beaucoup pour les hommes atteints du cancer de la prostate. Et comme vous le savez, certaines personnes, pas toutes, mais certains des hommes qui ont eu un cancer de la prostate ont des traitements hormonaux bloquants. Et il me disait récemment : “Oh, nous avons réduit le traitement de beaucoup d’hommes à trois ans au lieu de cinq, parce que les symptômes sont si graves, les risques pour la santé à long terme sont si graves que nous avons réduit le blocage des hormones”. Alors que beaucoup de femmes que je vois maintenant me disent qu’on leur dit qu’elles ne doivent pas prendre cinq ans de médicaments bloquant les hormones, mais dix ans. Et il y a tellement de choses qui ne vont pas et qui sont une disparité entre les sexes, il n’y a aucun doute là-dessus. Plus je fais ce travail, plus je pense que c’est définitivement le cas, une sorte de suppression des femmes.

Newson: Les gens oublient la pathophysiologie, mais ils oublient aussi la biologie de base des œstrogènes. Et quand je dis œstrogène, je veux dire l’estradiol, qui est notre œstrogène naturel que nous produisons lorsque nous sommes encore en train d’ovuler, et comment il est anti-inflammatoire dans le corps et il peut faire des choses étonnantes. Et c’est pourquoi nous savons que les femmes qui prennent un THS pendant de nombreuses années ont un risque réduit de différents types de cancers, n’est-ce pas ? Et aussi, comme vous l’avez dit, une réduction du risque de décès par cancer du sein parce que les oestrogènes peuvent induire ce qu’on appelle l’apoptose, c’est-à-dire la mort cellulaire programmée. Ils peuvent moduler le fonctionnement de nos cellules immunitaires, ce qui est très bon pour combattre les infections, mais aussi pour réduire les maladies. Et ils ont été utilisés comme traitement du cancer du sein, n’est-ce pas, il y a de nombreuses années?

Bluming: C’était le premier traitement que nous avions en dehors de la chirurgie. Oui. Et le taux de réponse était de 44 % lorsque des œstrogènes à forte dose étaient utilisés. Les personnes opposées au THS (et je les identifie spécifiquement comme des personnes peu ouvertes d’esprit) disent : “Ce sont des doses élevées, mais des œstrogènes à faible dose seraient dangereux”. Eh bien, Craig Jordan est le père du tamoxifène, et il a découvert que lorsque les femmes deviennent résistantes au tamoxifène, beaucoup d’entre elles deviennent sensibles à l’œstrogène à faible dose dans sa capacité à contrôler leur cancer du sein. Nous avons encore beaucoup à apprendre, mais les déclarations absolues n’ont pas leur place dans cette discussion.

Bluming: Oestrogen Matters a été rédigé à la fois pour les profanes et pour les médecins. Il est fortement référencé afin que vous ne me croyiez pas sur parole. Tout ce qui est dit dans ce livre, qui traite des avantages et des inconvénients des hormones, y compris un chapitre sur le THS pour les survivantes du cancer du sein, est référencé afin de pouvoir être contesté.